D.Garnier, G.Bullat

Don+guib

Donatien Garnier

Journaliste au sein du collectif Argos (www.collectifargos.com) et poète. Il entra jadis à Sciences-Po pensant qu’il s’agirait d’étudier la science poétique. Longtemps il crut à une méprise. Il sait aujourd’hui combien la création est politique.

Guillaume Bullat

Graphiste au sein du collectif Voiture 14. ( www.voiture14.com ). Aux Beaux-Arts, il découvrit que son art n’en était pas un. Un graphiste sert toujours la parole de l’autre. Ses mots, son discours. Depuis, il parle la langue des images et mesure le champ d’expression infini et le pouvoir de cette position.

Le tandem

Guillaume Bullat et Donatien Garnier ont commencé à travailler ensemble autour du Recueil d’Ecueils, une cartographie du phantasme insulaire (www.recueildecueils.net). Ensemble, ils cherchent à mettre en place un « chant graphique » dans lequel la parole poétique est portée tant par la composition (typo)graphique que par le choix du support.

Présentation

Genèse de Géants

Au commencement, il y a quelques clichés en noir et blanc collectionnés par un photographe *ami. Des clichés de géants. Ils posent des questions auxquelles ils ne répondent que très partiellement : qui sont ces grandes personnes ? Sont-elles vraiment surdimensionnées où bien est-ce leur entourage qui est d’infimes proportions ? Comment vivent-ils leur différentiel de taille ? Quelles en sont les conséquences pratiques ? Amoureuses ? Philosophique ?

Un texte s’amorce autour de ces interrogations, s’élargissant progressivement à toutes les démesures portées et incarnées par l’être humain, à toutes celles dans lesquelles il s’inscrit. Il pourrait s’agir d’une somme en gestation. Assez vite pourtant, le texte se pense achevé. Cesse donc de s’écrire pour rechercher la forme de son contenant, un médium qui soit aussi message… Quelques années s’écoulent.

Puis, coup sur coup, une libraire** et une artiste ***proposent leur aide. L’une parle d’origami, l’autre évoque une collection de livres comprimés dans des boites d’allumettes. C’est  enfin l’évidence : quoi de plus approprié qu’un format minuscule –dépliable ! –  pour parler du gigantisme et de sa relativité ?

Mais comment s’y prendre ? Comment faire entrer vingt colosses et titans dans une boite d’allumettes ? Le texte est beaucoup trop long. L’éditeur ****suggère quelques pistes d’amputation et de mise en forme. Il est temps de faire appel au prote, au complice indispensable. Lequel, à son tour, réclame une miniaturisation. Le long et patient travail de réduction commence. Il va trop loin. Le récit initial était trop long, son successeur est trop compact, hermétique. La sauce, amère, fait grimacer le prote : il n’y a plus d’espace pour sa composition. S’ensuivent de longues tractations, des blocages, l’évolution rétive du poème… Jusqu’à l’ajustement des exigences.

Satisfait, le prote peut se mettre en mouvement. Une typographie modulaire, la « Titan », voit le jour à partir de poutres et d’articulations. Elle s’empare d’un mot, du suivant, se propage dans le texte. Elle ouvre de nouvelles pistes, suscite des images, ressuscite graphiquement des idées disparues dans l’ablation et la réécriture. Bâtie avec des éléments de toutes tailles, solide comme une poutre de charpente, précise comme un rouage horloger, la « Titan » structure la composition et anime le texte. Le prote active son outil, joue sur les limites de la lisibilité, la police infinitésimale, les débordements de case et les gonflements de casse. L’immense et le relatif, la relativité de l’immense et le vertige de la relativité, se coulent dans la boite.

Les couleurs s’installent. Le rouge vif et le faux or exigés par le goût tapageur et les références foraines du rédacteur sont subrepticement troquées contre une palette plus subtile, susceptible de restituer leur dignité, leur humanité, aux colosses bafoués.  Sang, ciel, ténèbres.

L’échange reprend. Les artisans se désespèrent de n’avoir pas plus de temps. La vie est aussi courte qu’un dépliant.

Au moment de livrer, point le rêve d’utiliser le verso du papier. On repart dans la méticuleuse mise au point d’une toise universelle à l’usage des géants. Hommage secret au mètre étalon républicain, une telle toise nécessite des algorithmes complexes et inédits, des mesures de précision, maintes plongées dans les archives.

L’objet est terminé. Ses auteurs le trouvent très petit. Plus que ce qu’ils avaient imaginé. Donc mieux. (Ce qui ne les empêche d’ailleurs pas de désirer une version gigantesque, en affiches.) Ils se réjouissent de pouvoir le feuilleter comme un livre, de la réussite du pliage, des éléments qu’il révèle, qu’on n’avait pas prévus…Gambergent un peu aussi :

– Tout ce chantier pour quoi ? Un caillou dans une botte de sept lieues ?  Une graine de baobab dans l’esprit des lecteurs ?

– Quelques grammes de papiers et d’encre. Très périssable. Très inflammable.

*Sébastien Girard
** Cécile Bory
*** Yolande Magni
****Richard Meier